Bonjour Michel Fieux. Vous pouvez vous présenter ?

Je suis un développeur qui se consacre à la création d'applications numériques intégrant les mutations en cours, climatiques bien sûr mais aussi sociales et organisationnelles. Mon parcours professionnel m'a mené de la création de services internet et mobiles à un rôle de développeur polyvalent et de chef de projet ou assistant à maîtrise d'ouvrage.


Quelle est votre formation ?

Formation universitaire en informatique, mathématique, logique et statistique. Un premier cycle à Toulouse au début des années 80 suivi d'un deuxième et troisième cycles à Jussieu, à Paris. Des cours remarquables, une grande effervescence. Les couloirs de Jussieu était connus à l'époque pour abriter le plus grand nombre de logiciens au m2 :)

Et dans la tour centrale, une équipe pluridisciplinaire rassemblait des linguistes et des informaticiens pour travailler sur les questions de traduction et de grammaire générative.

Le DESS, le Master 2 de l'époque, a été l'occasion de coupler les mathématiques à la programmation dans le traitement de gros volumes de données, qu'on n'appelait pas encore le big data. L'ACP, notamment, l'Analyse en Composantes Principales, est maintenant utilisée dans le machine learning.

Cette formation initiale a ensuite été complétée par une formation "néo-ingénieur" d'un an dispensée par la compagnie Bull S.A, à l'époque, fin des années 80, deuxième fabricant d'ordinateurs au monde derrière Big Blue, le géant IBM.


Puis vient le temps de la conception des ordinateurs ?

Exactement. A l'issue de la formation, je rejoins l'équipe R&D qui travaille à la conception d'un main-frame, un ordinateur central, au sein de laquelle je conçois la puce et la carte controleur-mémoire. Une jolie aventure dans un environnement très performant et motivé. La France disposait alors d'un remarquable savoir-faire en électronique et programmation, tant dans la conception que dans la fabrication, avec l'usine d'Angers.

Le projet terminé, j'intègre cette fois une équipe de codeurs qui vient d'être créée pour développer un nouveau système d'exploitation basé sur Unix, Open7, une sorte de Linux avant la lettre. Ce produit ne sera pas commercialisé mais constituera un savoir-faire pour des développements ultérieurs.

Et en 1991, je suis chargé d'analyser l'offre en matière d'hypertexte, une technologie émergente à l'origine du succès d'Internet quelques années plus tard.


... avant de voler de vos propres aîles

C'est ça. Je démissionne au printemps 91 et retourne dans ma région d'origine, le Gers, où je m'installe à mon compte. Changement de décor complet, c'est le début de la micro-informatique, de la programmation de logiciels de gestion et de comptabilité, auquel j'ajoute bientôt, avec le secours d'un technicien, l'assemblage des PC pour une clientèle faite principalement de TPE.


Et alors arrive la déferlante Internet !

Internet, avec Windows95 en 1996... mais aussi l'an 2000. C'est la conjonction des deux, pour une raison que je ne m'explique pas, qui a marqué le basculement décisif vers Internet pour les entreprises avec lesquelles je travaillais. J'ai alors cédé la branche matérielle de mon activité à une entreprise agenaise et me suis complètement recentré sur le développement dans ce nouveau contexte où les maitre-mots étaient "réseau" et "travail à distance". Un bouleversement complet. Le passage aux applications mobiles et adaptatives, qui constitue maintenant l'essentiel de mes travaux, n'a été qu'une évolution de cette rupture.


Et la formation dans tout ça ?

J'ai rapidement voulu marcher sur deux pieds. A l'issue de mes études, j'avais la technique mais il me manquait le sens. Une fois le projet matériel terminé, à l'automne 90, je suis passé en temps partiel, 4/5ème, et ai commencé dans la journée libérée une formation en philosophie. J'ai rejoint la section "sociologie des techniques" que venait de monter à la Sorbonne Alain Gras, un penseur des techniques, et commencé sous sa direction un travail théorique autour du terme d'information, terminé par l'obtention d'un DEA. Le travail de thèse, une analyse du milieu des informaticiens, dont je faisais partie pour l'essentiel de mon temps, commencé à la suite, s'est perdu lors de mon retour dans le sud et du lancement de mon activité. S'en est suivi une période d'une vingtaine d'années où je suis reparti sur un pied :)

Et ?

Et la période du confinement, en 2019, m'a remis sur les deux pieds... Des questions sont revenues m'occuper l'esprit, en gros Où tout cela nous mène-t-il ?

J'ai la réponse, ça nous mène dans la salle spéciale !

(rires) Merci. Oui, la salle spéciale c'est l'histoire de l'informatique, et la question que pose le livre, c'est "comment replacer l'informatique dans la bonne trajectoire ?"

Et la réponse ?...

La réponse, on la trouve dans l'écologie du digital.


Nous y voilà. L'écologie du digital, c'est quoi ?

C'est la conjonction des deux mots Ecologie et Digital.

Jusque là...

L'écologie, le biologiste Ernst HAECKEL, l'a définie en 1866, quand il a créé le mot, comme "la science des relations des organismes entre eux". Et le digital s'occupe du contexte généré par les outils numériques que nous utilisons.
L'écologie du digital s'intéresse donc à l'ensemble des relations - avec nous-mêmes, avec notre environnement, proche comme distant, et avec le vivant sous toutes ses formes - que les outils numériques créent ou modifient.

Il y a trois modules. Quel est leur contenu ?

Le premier, l'écologie du digital est une approche originale et parfois surprenante de l'ensemble des composants du digital. Parmi les commentaires des premiers participants, on peut retenir les commentaires : "enrichissant", "donne matière à réfléchir", "ouvre des horizons", "intellectuellement joyeux".

Il est vraiment pour tout le monde ?

Vraiment... Si l'on est sensible à ces défis qui sont devant nous.

Le deuxième, Comprendre la dynamique de la responsabilité sociale des entreprises, est beaucoup plus opérationnel, pratique. Il répond à des questions concrètes. Comment mesurer son impact numérique, faut-il intégrer une démarche "verte" dans son activité, en quoi consiste la responsabilité sociale des entreprises, y a-t-il là un intérêt pour ma société, quelle est ma situation par rapport à ces enjeux ?... Cette journée fournit avant tout des outils pratiques, des tableaux de bord et des questionnaires pour faire le point. Elle peut être utile à tout utilisateur des outils numériques et sera pertinente pour ceux que leur fonction confronte à cette question de la responsabilité sociale des entreprises : responsable des achats, production, décideurs, marketing.

D'accord. Le troisème module paraît plus "technique informatique"

De fait, Concevoir des applications low-tech intéresse avant tout les métiers directement liés au développement d'applicatifs : demandeurs, chefs de projets, product owners, responsables DSI, développeurs et concepteurs UX.
Il constitue en quelque sorte la quintescence de ce que j'ai appris en trente ans de pratique, tant sur les réussites que sur les échecs, c'est-à-dire sur les produits non utilisés. Un produit peut être techniquement fonctionnel et correspondre à la demande faite... et ne jamais être utilisé, notamment pour une question d'inadaptation aux utilisateurs. Ce point est crucial, un développement doit intégrer les motivations et les situations concrètes des utilisateurs pour être efficace.

D'accord pour le développement. Mais le low tech ?

Le low tech est habituellement, et à juste titre, associé à la sobriété numérique. Il propose une utilisation de la technique, y compris la plus pointue, visant à une empreinte la plus légère possible. Concernant le développement d'applications, nous avons ajouté d'autres paramètres, au nombre de huit, prenant en compte les intentions des développeurs, les demandes du client et les besoins des utilisateurs dans une approche ... écologique

Concrètement, cette journée... ça ne fait pas un peu court, une journée, pour un programme aussi ambitieux ?

L'objectif est de comprendre la méthode, complètement, mais de façon active, ce qui est très efficace !

D'accord. Concrètement, cette journée se passe comment ?

Une mise en situation qui parcourt successivement l'ensemble des étapes de la création d'une application mixte, smartphone et bureau, de l'expression de la demande par le client à la livraison pour les utilisateurs, en passant par le concept, les choix technologiques, le codage, les tests, le retour utilisateur et le process de perfectionnement. Le fil rouge de la démarche tient dans la question "comment répondre à la demande de chacune des personnes concernées par l'applicatif ?"


Pour conclure ?

Une conviction est au coeur de mon travail : la sobriété numérique est plus qu'une notion, c'est un impératif. Chaque ligne de code, chaque interface et chaque interaction doivent être pensées pour apporter une valeur maximale avec une empreinte minimale, non seulement dans l'impact de nos usages sur le vivant en général mais aussi sur les relations que nous entretenons avec nos clients, nos fournisseurs, nos collègues et collaborateurs.

Je travaille en étroite collaboration avec d'autres codeurs, graphistes, UX, certains indépendants d'autres coopérants à la Coopérative d’Activité et d’Emploi Kanopé. Chacun vise l'excellence dans sa spécialité, qu'il s'agisse de conception graphique, de référencement ou de conception d'un process digitalisé mais notre objectif est commun : tisser des services cousus main adaptés aux besoins uniques de chaque entreprise avec laquelle nous travaillons.

C'est dans ce cadre que s'inscrit le cycle de formation que je propose. Il est destiné aux entreprises souhaitant entamer une transition numérique couplant l'innovation technologique avec la responsabilité. Si vous êtes dans cette dynamique, je serai heureux de participer comme formateur à votre aventure vers un numérique positif.


Une citation pour finir ?

La compréhension des écosystèmes implique un déplacement de l'attention des objets vers les relations. Une communauté dynamique est consciente des multiples relations qui existent entre ses membres. Nourrir la communauté, c'est nourrir ces relations.

Fritjof Capra - Ecoliteracy - The Challenge for Education in the Next Century || source et traduction : Lilian Ricaud -